Découvrez Hammerfest
Chameaux et personnalités locales du Grand Nord
Revivez le premier voyage de Hurtigruten à Hammerfest, l’une des villes les plus septentrionales au monde.
PAR OLIVER BERRY
« Félicitations ! Vous voilà membre de The Royal and Ancient Polar Bear Society », annonce ma guide Anna. D’un air radieux, elle épingle un badge en forme d’ours polaire sur ma poitrine et me tend une série de documents officiels, carte d’identité, sticker et certificat de membre, signé de la main du maire de Hammerfest, je note avec fierté.
« C’est un club très fermé, vous savez », me dit-elle. « Elvis Presley voulait rejoindre le club, mais nous avons refusé sa demande, car il est de rigueur de venir jusqu’à Hammerfest pour devenir membre. » C’est là une entrée en matière bien étrange au sujet de Hammerfest, dans la mesure où les ours polaires ont quitté les environs à la fin de la dernière période glaciaire. Pour en voir de nos jours, il faut parcourir les 900 km vers le nord pour rejoindre l’archipel du Svalbard. Mais il faut bien avouer que Hammerfest est un lieu irrésistiblement étrange. Située à 600 km au nord du Cercle arctique, cette minuscule conurbation de plus de 11 200 âmes est célèbre, car elle figure parmi les villes les plus septentrionales au monde, un titre ardemment contesté par la proche Honningsvåg.

The Royal and Ancient Polar Bear Society fait partie des nombreuses excentricités de Hammerfest.
Hammerfest est un chapelet d’édifices colorés, arrimés le long de la côte dépouillée et rocailleuse de l’île de Kvaløya. Dans ce paysage de montagnes et de fjords infiniment blanc, les visiteurs qui s’égarent aussi loin au nord sont soit d’intrépides explorateurs fraîchement débarqués d’une croisière de Hurtigruten, soit des curieux venus chasser les aurores boréales. Au cœur de l’hiver, du 22 novembre au 20 janvier, lorsque les températures s’aventurent rarement au-delà de zéro, compte tenu de la latitude et de la situation à l’extrême nord de Hammerfest, le soleil ne dépasse jamais la ligne d’horizon. À l’inverse, au plus fort de l’été, du 16 mai au 27 juillet, la ville baigne 24 heures sur 24 dans la lumière du soleil.
« Hammerfest est un chapelet d’édifices colorés, arrimés le long de la côte dépouillée et rocailleuse de l’île de Kvaløya. »
— Oliver Berry
Hammerfest, Norvège.
Le 2 juillet 1893, le navire DS Vesteraalen de Hurtigruten entreprend le voyage inaugural de la compagnie depuis Trondheim, avec pour destination les plaines recouvertes de blanc du Grand Nord. Après 67 heures de navigation au total, le navire largue les amarres à Hammerfest et c’est le début d’une histoire vouée à durer entre la ville et Hurtigruten. Ce voyage inaugural jusqu’à Hammerfest change radicalement la donne. Il faut désormais moins d’une semaine pour délivrer du courrier venu d’Oslo, la capitale, et en envoyer alors que cela demandait presque trois semaines auparavant. Près de 130 ans plus tard, Hurtigruten continue d’assurer l’itinéraire de l’Express Côtier, réduisant encore de presque 26 heures la durée du voyage d’origine pour un trajet désormais réalisé en moins de 48 heures.

Point de vue de Salen, à Hammerfest, en Norvège. Photo : Carina Dunkhorst

Un renne en train de brouter, non loin de Hammerfest.

Comme la majorité des villes de Norvège, Hammerfest se caractérise par une architecture modeste mais colorée, conçue pour résister à un climat difficile.
La ville se voit reconstruite en partie après son pillage et sa destruction par le feu par les troupes allemandes qui battaient alors en retraite face à l’armée soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis lors, ses habitants jouissent du calme qui règne dans ce mystérieux hameau réédifié à l’extrême nord du monde.
Au cours des trois jours passés sur place, j’ai rencontré mon lot de personnages fascinants. Comme Bjørn, un local avec qui je suis parti pêcher le célèbre crabe royal, l’occasion pour lui de me raconter qu’il nage dans la mer chaque jour depuis 30 ans, au point dit-il de ne plus ressentir aucune sensation de froid. Comme Einar Pedersen, un guide alpin fan de sports de l’extrême avec qui je suis parti randonner, du genre à passer son temps à surfer et à pêcher sur glace en Arctique quand il n’explore pas les montagnes autour de Hammerfest. Je me suis aussi rendu sur une île au large pour y faire… une balade à dos de chameau. Au cœur de l’Arctique. C’est du vécu. Généralement associée à la chaleur du désert, cette sous-espèce de chameau est capable de survivre à des températures allant jusqu’à moins 40 °C. Pendant l’hiver, il n’est pas rare de les voir gambader dans la neige.

Des chameaux de Bactriane à Akkarfjord. Photo : Marthe Nyvoll.
J’ai été aussi ensorcelé par la beauté pure et singulière de Hammerfest, écumant les eaux arctiques dans un bateau pneumatique rigide pour observer des phoques jouant dans des criques cachées, assister au rassemblement d’oiseaux sur des îles désertées et même entrapercevoir la nageoire d’une baleine. J’ai chassé le renne avec les Samí, me familiarisant avec leur culture fascinante et leur style de vie semi-nomade. J’ai même gravi l’escalier Tyventrappa Sherpa et admiré le détroit sinueux de Sørøysundet du sommet du mont Tyven.

Excursion en traîneau à rennes lors d’une expédition sur la côte norvégienne. Photo : Agurtxane Concellon

Un renne de Hammerfest, en Norvège.

Un crabe royal détendu sur la neige.
À la nuit tombée, la veille de mon départ, je déambule dans les rues enneigées de Hammerfest quand une aurore boréale illumine le ciel en une explosion spectaculaire de couleurs. Ce spectacle éblouissant déploie, des heures durant, un maelström de verts, bleus, roses et violets surgissant et s’évanouissant comme un mirage. Je me mets au lit sous mon dôme géodésique, admirant le ciel nocturne sous une montagne de peaux de renne et rapidement, je trouve le sommeil tandis que les aurores continuent de danser là-haut. Hammerfest a beau paraître bizarre à bien des égards, c’est aussi un lieu incroyablement merveilleux.